VIH/SIDA : le Sénégal se mobilise …

Les structures de santé, aidées par des associations, ont pris des mesures pour assurer la continuité des soins, le dépistage du VIH et le soutien psychologique aux malades.

La boule au ventre, Marieme* s’est rendue au centre de traitement ambulatoire (CTA) de l’hôpital de Fann, à Dakar, pour récupérer trois mois de traitements antirétroviraux. « Je sais que les personnes vivant avec le VIH, comme moi, sont plus vulnérables au coronavirus », lâche la jeune mère de famille, élégantes boucles dorées aux oreilles. Depuis le premier cas de Covid-19 au Sénégal, le 2 mars, elle ne sort plus sans son masque, ses gants, son gel hydroalcoolique, et évite les transports collectifs. « Au début, j’avais même peur de rentrer à l’intérieur de l’hôpital », avoue celle qui craint « une deuxième infection ».

Marieme a été appelée par le personnel de santé du CTA, tout comme les 900 personnes qui avaient une consultation entre les mois de mars et de mai. « En plus de confirmer les rendez-vous, nous les avons surtout sensibilisés à ne pas rompre leurs traitements », explique la docteure Kiné Ndiaye, infectiologue au CTA. Les risques encourus sont l’augmentation de la charge virale et une immunodépression qui rend davantage vulnérable au Covid-19.

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Au Sénégal, 42 000 personnes vivent avec le VIH, selon l’Onusida, mais seules la moitié d’entre elles connaissent leur statut sérologique. Le pays, qui compte 16 millions d’habitants, est régulièrement cité comme modèle pour sa lutte contre le sida : le nombre de nouvelles infections a baissé de 40 % entre 2010 et 2018. Mais l’irruption du Covid-19 fait planer une nouvelle menace. A la date du 15 mai, le Sénégal recensait 2 189 cas positifs au coronavirus, dont 23 décès.

Distribution de médicaments

A l’échelle de l’Afrique subsaharienne, le nombre de morts du sida risque de doubler à cause du coronavirus, selon l’ONU. Perturbation dans l’accès aux antirétroviraux, rupture d’accès aux soins, baisse de la prévention et de la fréquentation des centres de santé… Ces facteurs pourraient entraîner 500 000 décès supplémentaires sur une année.

Pourtant, les patients respectant leur traitement ne sont pas plus vulnérables au Covid-19 que le reste de la population, affirme Soukeyna Ndiaye, présidente du Réseau national des personnes vivant avec le VIH (RNP +). Fort de ce constat, le personnel hospitalier de Dakar s’est mis en ordre de marche, en collaboration avec des associations, dont l’Alliance nationale des communautés pour la santé (ANCS), leader dans la réponse contre le VIH au Sénégal.

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La première mesure a été de donner automatiquement au moins trois mois d’antirétroviraux à tous les patients. La continuité des soins est ainsi assurée, sans nécessité de se déplacer. Et pour les patients de plus de 50 ans ou diabétiques, les 250 médiateurs de santé de l’ANCS sont allés distribuer en main propre les médicaments. « Les personnes fragiles doivent rester chez elles et éviter tout contact. C’est aussi mon rôle de les rassurer et d’assurer un accompagnement psychosocial », estime Zaccaria, un médiateur basé à l’hôpital de Fann.

A l’entrée des bâtiments bleu turquoise du CTA, un agent de sécurité prend la température des patients et leur demande d’utiliser le lave-mains mobile installé à l’ombre de grands arbres. « Nous avons tout de suite sécurisé les structures où nous suivons 1 412 patients, dont certains sont gravement immunodéprimés. Ils risquent de développer des formes graves du Covid-19 s’ils sont contaminés », s’inquiète la docteure Kiné Ndiaye.

Désormais, un maximum de dix consultations par jour a été fixé, contre une trentaine habituellement, pour éviter tout contact. « Nos partenaires nous ont donné des masques, du détergent et du gel hydroalcoolique. Les dotations du ministère de la santé n’étaient pas suffisantes », regrette l’infectiologue. Des mesures nécessaires alors que la structure de suivi des personnes vivant avec le VIH se trouve au milieu de l’hôpital, où sont hospitalisés des patients Covid-19.

Des centres de santé désertés

L’autre enjeu est de continuer de dépister, alors que les hôpitaux et centres de santé sont désertés, par crainte de contracter le coronavirus. Dans la salle d’attente pour le dépistage de l’hôpital de Fann, seules trois personnes sont assises sur les chaises en plastique.

« D’habitude, nous dépistons plus de 40 personnes par jour, contre une dizaine aujourd’hui, constate Kiné Ndiaye. C’est dangereux, car certains vont être diagnostiqués trop tard, une fois qu’ils consulteront leur médecin pour des symptômes sévères. » La situation inquiète aussi Soukeyna Ndiaye, du RNP + : « Certains ne connaissent pas leur statut sérologique et ne prennent pas de précautions supplémentaires face au coronavirus, alors qu’ils sont plus vulnérables sans le savoir. »

Ces carences risquent d’affecter les plus jeunes. Landry Tsague, spécialiste du VIH au bureau de l’Unicef pour l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale, rappelle qu’un quart des nouvelles infections dans la région sont déclarées chez les enfants. « Sept enfants sur dix n’ont pas accès aux antirétroviraux par manque de dépistage. La situation va empirer avec le Covid-19, faute de personnel et à cause des restrictions de déplacements et de rassemblements. Il va falloir rattraper le retard une fois sortis de la pandémie », anticipe le spécialiste.

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L’autre défi, dit-il, est « le risque de dépression et de stress additionnel pour ceux qui n’ont plus de soutien psychosocial ». Au Sénégal, les activités communautaires de sensibilisation auprès des « populations clés » (professionnels du sexe, hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes, usagers de drogue) sont à l’arrêt. Le seul appui reste le numéro vert de la ligne d’écoute téléphonique. « Elle est primordiale pour nos patients, assure Kiné Ndiaye. Mais nous recevons beaucoup d’appels concernant le coronavirus quand la ligne dédiée est saturée. »

Au niveau de l’ANCS, le soutien moral se fait par téléphone, mais aussi sur le terrain. « Nous avons distribué environs 400 kits contenant du riz, de l’huile et de l’eau de javel aux plus vulnérables », explique Massogui Thiandoum, volontaire de l’ANCS, pour qui la stabilité socio-économique permet une meilleure observance du traitement. « Nous mobilisons maintenant les fonds pour une deuxième distribution alimentaire », ajoute le militant.

* A sa demande, le prénom a été changé.

Source : lemonde.fr/afrique