Sida : les experts appellent à changer radicalement de stratégie

Scientifiques et militants de la lutte contre le VIH estiment qu’il faut remettre en question l’approche centrée sur le sida et « faire cause commune avec le champ de la santé mondiale

La prévention contre le VIH est en crise, des populations particulièrement vulnérables  restent  hors d’atteinte du système de santé, et l’élan mondial, qui a permis de mobiliser des ressources sans précédent et de  sauver  des millions de vies, décline. Le modèle uniquement concentré sur le VIH/sida, qui prévalait depuis le début de la pandémie et a abouti à créer des programmes et structures spécifiques, n’y répond plus comme il le faudrait. Il doit laisser place à une approche où la lutte contre le virus de l’immunodéficience humaine serait intégrée dans des programmes de santé plus larges visant également les maladies qui lui sont liées.

C’est la conclusion à laquelle sont arrivés 47 experts impliqués dans la riposte à cette pandémie qui a déjà tué plus de 35 millions de personnes. Après deux ans de travail dans le cadre d’une commission réunie à l’initiative de l’International AIDS Society (IAS), organisatrice des conférences internationales sur le VIH/sida, et l’hebdomadaire médical The Lancet, ils invitent à ce changement de paradigme.

Parmi les signataires du document figurent l’actuelle présidente de l’IAS, Linda-Gail Bekker, et son prédécesseur, Chris Beyrer, mais aussi l’ancien directeur exécutif d’Onusida, Peter Piot, et deux ex-directeurs exécutifs du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, Michel Kazatchkine et Mark Dybul, ou encore l’ancien président d’Aides, Bruno Spire.

La commission met en question le discours dominant ces dernières années centré sur la perspective d’en finir avec le sida.

Selon la commission, le battage sur cet objectif fixé à 2030 par les Nations unies a « alimenté une dangereuse complaisance et peut avoir précipité l’affaiblissement de la détermination mondiale à combattre le VIH ». Estimant que « les outils et les stratégies contre le VIH existants sont insuffisants et bien que des progrès spectaculaires puissent être obtenus en maximisant les stratégies actuelles de prévention et de traitement, la pandémie due au VIH va vraisemblablement demeurer un défi mondial majeur dans le futur proche », est-il indiqué dans le document du Lancet.

Peter Piot voit un reflet de cette complaisance dans l’aplatissement de la courbe des ressources financières, internationales et nationales, consacrées à lutter contre le VIH. « Nous sommes très préoccupés à l’idée de voir le monde proclamer une victoire bien avant que notre combat contre le sida soit achevé. Ce serait catastrophique, car nous avons vu des épidémies rebondir, par exemple le paludisme, dont on avait prévu l’élimination », met-il en garde.

La commission prône des services intégrés qui répondent au VIH et aux autres maladies qui partagent les voies de transmission, touchent les mêmes groupes à risque et coexistent souvent chez les patients. Une telle offre inclurait la santé sexuelle et reproductive, la tuberculose, les hépatites virales, les addictions aux drogues et les troubles mentaux, résume Chris Beyrer.

                                                                        Avec Le Monde.fr